À mes dix-huit ans je me suis acheté un billet aller simple pour l’Australie et c’est là-bas, où la terre rouge et désertique se plonge dans l’eau turquoise étincelante, que j’ai approfondi mes connaissances de la photographie de façon autodidacte. Pendant les cinq années qui ont suivies mon retour, j’ai vécu la moitié de mon temps dans une van où tenait tout ce que je possédais et avec laquelle j’ai exploré tranquillement de fois en fois le vaste territoire de l’Amérique du Nord.
Dans mes débuts avec la photographie, je voulais capturer le sublime dans les paysages sauvages, non touchés encore par l’emprise humaine. Il y avait un aspect méditatif à tout cela. Mais lors d’un de mes séjours dans l’Ouest canadien, avec un ami photographe, j’ai découvert la beauté tragique des villes. On vivait sur l’île de Vancouver, où on faisait du surf, de la photographie, et de la chambre noire. J’ai développé une fascination pour les paysages urbains, où peuvent émerger des visions lucides qui vous transforment. À travers cet art de la spontanéité qu’est la photographie de rue, on peut réellement connecter avec l’être humain, et le comprendre dans toute sa complexité. Ça permet d’étudier comment le corps bouge, vit et survit dans ces décors de maçonnerie que nous habitons.
En revenant de ces voyages, où j’ai exploré des villes comme Portland en Oregon, Victoria, et New York, j’ai ressenti le besoin de déménager au cœur de la ville de Québec. Mon amour croissant pour la photographie argentique m’a poussé à monter dans un appartement mon premier atelier avec chambre noire. Ça m’a permis de faire passer mes images dans le monde du tangible.
En vérité, cet aspect matériel de la photographie m’a dès le début fasciné. La raison à cela c’est que depuis l’âge de huit ans, à un âge où mes camarades vivaient dans le monde de l’insouciance, je travaille comme ouvrier pour l’entreprise familiale, une compagnie de maçonnerie. J’ai toujours, aussi loin que je me rappelle, travaillé de mes mains avec de la matière brute. Ça m’amène naturellement à prôner la tangibilité dans l’art. La photographie argentique comporte toute une série de procédés manuels qui sont devenus au centre de ma pratique artistique.
Il y a tout un rituel, entre la capture d’une image sur pellicule, les expériences en chambre noire où je travaille et retravaille ces photographies sous la lumière inactinique, et ce moment de révélation où le papier vierge réagis avec les chimies et se transforme sous mes yeux en une image unique. Je ne me lasserai jamais de la magie vivante exceptionnelle qui entoure ces procédés. Ça reste mytérieux à mon esprit que tout cela naisse d’un plastique flexible enduit de la fameuse et mystique gélatine d’argent.
Du côté de la poésie, j’utilise la méthode d’écriture automatique, qui s’accorde très bien avec la spontanéité qui m’accompagne dans tous mes faits et gestes. Parfois la poésie se manifeste sur une serviette de table entre deux bouchées d’un succulent grits de la Nouvelle-Orléans, et parfois dans le sursaut d’inspiration qui jaillit dans les rêves juste avant le réveil. Des liens se créent à mon insu entre les image que je crée et mes émotions du moment, puis se fixent dans ces mots annotés rapidement à la machine à écrire. Je m’inspire également beaucoup du jazz, de la musique ambiante, et du piano, pour créer de la poésie, ce qui donne un rythme aux textes qui n’est pas entièrement prémédité. Enfin, la machine à écrire s’est révélée un parfait allié, car elle apporte la même matérialité que je recherche dans les expérimentations photographiques à mes autres créations. J’aime entendre l’echo des lettres d’une dactylo qui frappent le papier, c’est une musique pure comme un battement de cœur, qui fait jaillir l’adrénaline et te rappelle que tu es vivant !
Tous ces processus ont une lenteur, qui oblige à prendre le temps, et prendre le temps est primordial à notre époque. On devrait prendre le même temps dans tout ce que l’on fait que lorsqu’on prend une respiration d’air pur au printemps en se baladant dans la rue avec son amoureuse. C’est en prenant le temps que la lumière du jour et les étoiles de la nuit se perpétuent dans l’existence.
*Rédigé par Rodrigo Peña.